L’initiation Maçonnique est une Voie initiatique traditionnelle qui fait appel à un rituel, une règle, et un ensemble de symboles.

Le Grand Architecte, la religion et la raison

Rassemblant des membres de toutes origines sociales, culturelles, ethniques et confessionnelles, la franc-maçonnerie accueille avant tout en son sein des chercheurs et des initiés. Pourtant la présence d’un symbole particulier, le Grand Architecte de l’Univers, et l’ambiguïté de son traitement dans plusieurs obédiences peut parfois porter à confusion. Nous essayons ici de clarifier la question de la religion et de la présence d’un dieu révélé en Franc-maçonnerie.

La loge maçonnique est un organisme vivant qui naît, meurt, tombe malade, produit des descendants (par essaimage, comme le ferait une division cellulaire). La loge possède son vocabulaire, les symboles, et sa syntaxe, le rituel, qui telle une langue parlée, se teinte de la structure mentale du groupe qui la constitue. Elle possède aussi un esprit, l’Égrégore, influencé par les désirs communs des individus qui la compose1. D’où l’importance que ces désirs soient aussi purs et bienveillants que possibles.

Si nous recensons les traits essentiels d’une Loge, nous constatons que c’est un groupe d’hommes et de femmes venus de leur plein gré. Groupe restreint mais que l’on espère hétérogène, sans hiérarchie, avec des niveaux de progression marqués par des degrés. Suivant les anciennes traditions, ces degrés sont au nombre de trois précisément, une constante de tous les systèmes d’apprentissage. L’école primaire par exemple possède son cours préparatoire et ses deux cours moyens. Le système éducatif complet est divisé en primaire, secondaire, et universitaire. Dans les arts martiaux Japonais, on trouve les titres de niveau de maîtrise Renshi (Maîtrise externe physique), Kyoshi (Maîtrise interne) et Hanshi (unification des Maîtrises internes et externes) qui correspondent à trois niveaux d’enseignement2. Et les anciens mystères célébrés par Platon prévoyaient que l’ascension de l’âme se fasse suivant trois degrés successifs : la purification, l’illumination et l’union au divin3.

La loge initiatique traditionnelle est sans leaders (trois la dirigent nous dit la tradition, ce qui en réalité signifie qu’ils la guident), sans idéologie dominante, acceptant une totale liberté d’expression et de conscience en échange d’un respect scrupuleux des règles que le rituel impose pour rendre possible l’expression de ces libertés4.

La circulation de la parole est au centre de la méthode Maçonnique. Elle s’y fait sous l’empire du Logos – dont dérive la logique – et donc de l’affirmation de la primauté de la raison organisatrice sur la passion5. Cette raison organisatrice qui porte en elle la capacité d’expliquer l’Univers. Mais on ne doit pas s’y tromper : l’intellectuel ne règne pas en maître dans la loge, pas plus que le dogmatique. La parole peut aussi bien d’être un support de l’imagination (la Lune) que du raisonnement (le Soleil).

Il n’existe pas de formateurs et de formés, ni maîtres ni disciples dans une loge, contrairement aux arts martiaux, à l’Alchimie ou à certains ordres monastiques dans lesquels, au cours de son cheminement, celui qui apprend, progresse d’un Maître à un autre. Comme le dit le rituel, l’apprenti est maçon de plein droit dès son serment prêté. Sa reconnaissance par ses F :. et S :. est immédiate et totale (alors que dans d’autres systèmes initiatiques, il serait simplement un disciple entré). En quelque sorte, c’est la loge (qu’on pourrait identifier à la Mère) qui est l’initiatrice et son enseignement passe par un support, le rituel. Les Surveillants. et les Officiers sont des accompagnateurs et des observateurs, mais le F :. ou la S :. reste seul face à lui même quand à ce qu’il souhaite faire de cet espace de liberté, forêt de symboles. Il est équipé d’outils, et d’un instrument, le rituel, qu’il lui appartient d’utiliser pour questionner les symboles et ainsi progresser. Si il n’utilise pas ces outils, il ne recevra aucun salaire, c’est à dire qu’il ne s’extraira pas de sa condition vulgaire et nul dans l’atelier ne pourra y remédier.

L’évènement central du processus initiatique est la tenue6, pour lequel l’apprenti s’engage à une complète et rigoureuse assiduité. Quoique qu’on en pense ou qu’on observe, l’assiduité totale n’est pas, au même titre que la forme particulière de la circulation de la parole en loge, un point négociable. Et pour une bonne raison : parce qu’il n’existe pas d’enseignement codifié en Maçonnerie, la tenue tient lieu de laboratoire dans lequel avec leurs outils, un groupe d’hommes et de femmes pratiquent des expériences bien réelles. En effet, en l’absence de mode d’emploi, il est très difficile de suivre la voie initiatique proposée par la Franc-maçonnerie sans conduire ses propres expériences, régulièrement, et au milieu des F:. et S:.. Sans ces expériences, le feu initiatique s’éteint progressivement. Imaginez vous un chimiste qui ne viendrait jamais dans son laboratoire ? Un athlète ne se rendant jamais dans un gymnase ?

Par nature donc, et c’est une première différence fondamentale avec l’approche du religieux, le Franc-maçon ne pourrait accepter une quelconque forme de dogme (ou en tout cas ne devrait pas) en tant que point fondamental et considéré comme incontestable puisque la méthode maçonnique en elle même repose sur la liberté totale de pensée. Voilà pourquoi le Franc-maçon est libre dans une loge libre.

Franc-maçonnerie et doctrine

Pour ces raisons, la Franc-maçonnerie7 n’a pas de doctrine. Nous l’avons vu, l’enseignement repose de bout en bout sur l’exposition aux symboles, la pratique des rituels, et l’usage de la parole. Il serait probablement possible de dégager de ce corpus une doctrine mais le fait est que ni les textes du rituel, ni ceux des instructions (ces séries de questions et de réponse qu’on donne à apprendre aux différents degrés) ne s’engagent sur ce chemin. Et de nombreux auteurs s’accordent qu’à supposer que ce soit possible [ce qui n’est probablement pas le cas NDLA], on peut considérer qu’[une doctrine ou un dogme] ne serait pas conforme à la méthode initiatique du Rite, qui est celle là même de la Maçonnerie8. La doctrine, en tant qu’ensemble de notions qu’on affirme être vraies et par lesquelles on prétend fournir une interprétation des faits, orienter ou diriger l’action finit toujours par constituer un système d’enseignement religieux […] s’accompagnant […] de la formulation de règles de pensée ou de conduite. Elle est l’opposée de la méthode Maçonnique, centrée sur la prise en charge par l’individu de sa propre progression et de son propre développement. C’est ainsi que par son absence de doctrine et de dogme, la Franc-maçonnerie est, par nature, l’antithèse d’une secte ou d’une religion.

C’est par ce que la Franc Maçonnerie ne propose pas de doctrine qu’il est permis de considérer que les divulgations9 (des révélations publiques des rituels Maçonniques)– bien qu’elles contreviennent en apparence aux dispositions du serment (serment dont le texte est aujourd’hui fourni par l’obédience) – n’ont jamais nuis à l’initiation : en l’absence de doctrine, la publication du rituel ou de certains de ses éléments ne peut révéler aucun secret puisque ce même secret ne peut être dévoilé que par le travail expérimental, tel que mené en loge ! Les divulgations seraient d’ailleurs même plutôt positives en permettant aux francs-maçons en recherche, de travailler et d’accéder à des documents historiques qui les aident à retrouver la source de l’initiation. Les divulgations déplaisent en réalité non aux F :., aux S :. et aux L :. qui ne sont finalement nullement impactés dans leurs travaux par l’existence de ces documents, mais plutôt aux organisations administratives que sont les obédiences maçonniques qui voient ainsi leur échapper une part d’influence. Le rédacteur des Constitution d’Anderson ne nous indique-t-il pas que lors de la période troublée de la constitution de la Grande Loge d’Angleterre des F :. pleins de scrupule […] brûlèrent trop précipitamment plusieurs manuscrits de valeur concernant la Fraternité, les loges, règlements, Obligations, secrets et usages.10 Ce n’est pas un hasard : au moment même ou l’on fédéralise pour la première foi les loges, on procède également à des autodafés pour mieux assurer l’assise d’une autorité centralisée en devenir11. On voit par exemple très clairement dans les correspondances qui suivent la publication du Régulateur – pièce maîtresse des divulgations françaises à la fin du XVIII ème siècle – que l’obédience est bien plus fâchée que ses ateliers12 affiliés de l’existence de ces divulgations. Et la question de la perte de revenus que fournit la vente des cahiers de rituels manuscrits officiels par l’obédience n’est d’ailleurs pas totalement absentes de cette colère !

La divulgation et la circulation des rituels et documents manuscrits et historiques est donc utile, voire essentielle. Quelques F :. nous ont donnés leur opinion sur le sujet et ceux qui se sont engagés sur ce chemin nous racontent comment [il leur] a fallu beaucoup d’années pour que [leur] cheminement [les] conduise[nt] au point de reconnaître d’une part que l’initiation Maçonnique […] propose une quête métaphysique et d’autre part que la totalité de informations nécessaires à cette quête ne se trouve pas dans un seul rite13. Pourtant, malgré l’existence de cette mosaïque de manuscrits, de commentaires, de tuileurs, de catéchismes et de rituels diffusés depuis plus de 300 ans, rares sont les Maçons, de part le monde, qui soupçonnent que le rituel qui leur est offert n’est qu’une petite portion d’un tout, qu’il leur manque des morceaux et qu’il leur incombe d’aller les chercher.

Mais comment partir en recherche pour identifier ce tout ? Par exemple en acceptant que la Franc-maçonnerie, tout en étant une Voie initiatique, puise à de nombreuses sources, enchâssées les unes dans les autres, et que chacune de ces sources contient une parcelle d’information qui pourrait nous donner des indications.

La Franc-maçonnerie est elle Judéo-chrétienne ?

Prenons par exemple les références à la bible. Il faudrait faire preuve de beaucoup de cécité (ou de mauvaise fois) pour ne pas admettre que les décors, les rituels et les traditions maçonniques, puisent largement (mais pas exclusivement) dans le corpus biblique judéo-chrétiens : les colonnes J :. et B :.14 mentionnées dans le premier livre des Rois. Ou le Temple de 15Salomon16cité dans les Chroniques et le livre des Rois; Hiram17 est un personnage du Premier livre des Rois et du deuxième livre des Chroniques. On oubliera pas non plus les mots, T…..n (personnage de la Genèse18 et descendant de Caïn) et S……h – le blé – dont les usages sont si nombreux dans le nouveau et l’ancien testament19. On pourra aussi s’amuser à retrouver les citations des outils20 et même des références au bon usage des tabliers21. On peut poursuivre cet inventaire testamentaire dans les évangiles, avec trois grands coups qui dans l’instruction du Rite Français22 référent à la formule frappez, on vous ouvrira ; demandez, vous recevrez ; cherchez et vous trouverez, exacte citation de Matthieu 7:7. L’un des livres sur lequel le Franc-maçon prête serment dans certaines obédiences est aussi contenu dans le corpus biblique (encore qu’on puisse le remplacer selon la confession de l’impétrant).

Les loges ne sont pas non plus dites de Saint Jean par hasard, Les deux jalons de l’année Maçonnique, la Saint Jean d’été (fête de Jean le Baptiste, le 24 juin) et la Saint Jean d’Hiver ( fête de Jean l’Évangéliste, le 21 décembre) sont chrétiennes. Pourtant, ces deux saint Jean sont tout autant des références évangéliques que des fêtes païennes recyclées, initialement reliées au culte du soleil. Elle constituent un pont entre une pratique païenne (la célébration du solstice), une pratique Romaine voire Syrienne (Sol Invictus pour la célébration du 25 décembre)23 et une nouvelle pratique, chrétienne, depuis au moins le VII ème siècle , assurant ainsi une continuité métaphysique sans distinction confessionnelle24. Et pour en ajouter sur le syncrétisme, ce Jean25 à deux dates ne ressemble t-il pas au Janus à deux visages des Romains26, dieux des portes, du passage, du commencement et de la fin de l’année, du mois de janvier ?

Le Christianisme a ses propres racines

Pourtant, une observation débarrassée de tout préjugé culturel ou religieux nous montre aussi que le système maçonnique possède son identité propre, avec ses trois degrés, sa parole, et ses symboles spécifiques qu’on ne retrouve nulle part dans l’ancien ou le nouveau testament.

Le Christianisme, c’est aussi la tradition juive revisitée à la lumière des mystères grecs27, celle du Judaïsme hellénistique. L’épi de blé remonte le temps, traverse le nouveau testament, puis l’ancien, et nous fait retourner en Grèce, jusqu’au mythe de Déméter. Si le décor de la loge puise en partie au temple de Jérusalem, si son cadre littéraire semble parfois se nourrir des évangiles, le rituel à trois degrés séparables en petits et grands mystères, mettant en œuvre une géométrie du logos peut difficilement n’être autre que d’inspiration Grecque.

Comment s’en étonner quand les évangiles (bonne nouvelle en grec) sont elles mêmes grecques, écrites par des grecs, seconde ou troisième génération de disciples, puisant à une source unique – et écrite en grec – la Logia28. A l’époque du Christianisme naissant, une population grecque nourrie de sa propre culture est présente au moyen orient. Et lorsque Jésus arrive à Béthanie, on prends bien soin de nous préciser dans le récit biblique que c’est à la question de visiteurs Grecs qu’il répond29 lorsqu’il affirme :

en vérité, en vérité, je vous le dis, si le grain de blé qui est tombé en terre ne meurt, il reste seul; mais, s’il meurt, il porte beaucoup de fruit.

Une allusion non voilée aux Mystères d’Éleusis30, dont le blé est l’emblème, alors même que le Christ s’apprête à entrer à Jérusalem, ou il va vivre sa passion, sa mort physique, sa résurrection. Le Logos tel que vécu en loge n’est donc pas nécessairement le Verbe créateur de la Génèse : il nous renvoie aussi à des principes centraux de la philosophie grecque. Il est celui des mystères d’Éleusis. Il est celui de l’amour de la sagesse. Il est celui des premiers philosophes. Cette philosophie qui prétend se donner la double tâche du raisonnement sophistique et du discours rationnel et qui au moyen âge voit son statut contesté par un christianisme qui veut préserver la suprématie de la foi sur la raison. Celle qui selon la maïeutique Socratique cherche à accoucher les esprits31.

Et si le nom d’Hiram est bien mentionné dans le corpus testamentaire, rien de ce qui constitue le mythe dans l’initiation Maçonnique n’y est même évoqué. On ne trouve aucune trace des nombreux détails du récit Hiramique tel que pratiqué dans les loges, tant dans l’ancien que dans le nouveau testament, et encore moins dans les écrits inter-testamentaires retrouvés au cours du XX ème siècle32, qui nous ont pourtant livrés quantité de détails nouveaux sur le récit biblique. On y évoque par exemple les Veilleurs, des récits latéraux sur les Géants et leur légende, des détails sur Noé et ses fils (et leur péché), des informations complémentaires sur Adam, Eve, Enoch, la chute des anges, on y fournit des compléments sur la vie du Christ33. Ces manuscrits antiques exhumés au XX ème siècle qui reconstituent peu a peu une image du paysage culturel qui présida à la naissance des Livres Saints sont bavards sur bien des aspects, mais ils n’apportent rien, absolument rien, sur Hiram et son mythe. Absence n’est pas preuve, mais il y a tout de même forte présomption ici, qu’un personnage biblique considéré comme mineur ait été utilisé comme base des rituels maçonniques pour porter un récit plus ancien que lui, qui pour certains de nos F :. et S:., n’est pas sans rappeler celui d’Isis et Osiris34.

Les symboles de nos temples – qu’ils soient bibliques ou non – ne sont donc pas par nature religieux, et pas nécessairement judéo-chrétiens, mêmes si ils en sont souvent les habits. Ils ont été découverts puis révélés sous de multiples formes depuis le néolithique, par des hommes et des femmes issus de nombreuses cultures qui cherchaient à comprendre les mystères à travers un entrelacs de formules cachées, de paraboles et de récits mythiques – souvent véhiculés oralement. C’est à cette histoire mythologique et composite que fait référence l’introduction des Constitutions d’Anderson, quand elles évoquent pèle mêle dans un entrelacs curieux Adam, Cain, Noé, Nimrod, mais aussi Pythagore, Ptolémée, l’Asie, l’Égypte, Euclide, l’Inde, l’Olympe de Jupiter, les Grecs, Archimède, les Goths, les Vandales … Rien de très Judéo-Chrétien dans tout cela !

On trouve des pentagrammes dans les grottes préhistoriques 35, probablement, et tout simplement, par ce que c’est un moyen intuitif de schématiser un Homme, comme nous le montre Vitruve, ou par ce que c’est un symbole qu’on voit dans la nature ! Par voie de conséquence, toute construction qui réemploie ces symboles, dans l’art, la littérature, l’architecture, l’ésotérisme ou la recherche de vérité n’est pas automatiquement de nature religieuse et encore moins exclusivement liée à une divinité ou une tradition. Qu’une partie des racines maçonniques puisent dans un corpus littéraire christique et judaïque est une chose, que ceci implique qu’il faille entrer dans le Temple accompagné d’un dieu révélé (ou non) en est une autre. Il est certain que tous les visiteurs des temples successifs construits sur le site occupé par Notre Dame de Paris, qui pourrait avoir été bâtie sur les vestiges d’un temple d’Isis36 (comme tant d’autres chapelles en France, recouvrants d’anciens cultes Romains ou Grecs, dédiés à Venus, Mars), n’ont pas en toutes époques vues en ce lieu la même divinité – voire une divinité tout court. En réalité pour chaque parallèle d’un élément de rituel maçonnique qui peut être associé à un verset du nouveau ou de l’ancien testament, il est généralement possible de trouver sa source grecque et parfois égyptienne voire mésopotamienne : le cabinet des réflexions fait il référence au dialogue entre Jésus et Nicodème37 ? au mythe de la caverne de Platon ? A des références alchimiques ? Ou s’intègre t-il dans une structure géométrique encore plus vaste ?

On pourra ajouter que, si pour le religieux la bible des Chrétiens (composée de l’Ancien et du Nouveau Testament) est d’inspiration Divine, pas pour l’historien ou le philosophe (fût il croyant), qui n’y voit qu’un ensemble de textes antiques assemblés pour constituer un corpus. Manuscrits parmi d’autres manuscrits, semblables ou qui se prolongent, et qu’on trouve en nombre à Qumran38 ou dans des œuvres apocryphes, mais écrites aux mêmes époques. Il ne fait aucun doute que le corpus biblique est une sélection arbitraire, menée pendant plusieurs siècles par des hommes, prise au sein d’une multitude de textes qui se suivent, se prolongent, se recoupent39. Pas plus que le rituel maçonnique, le corpus testamentaire n’est religieux par nature. Il le devient en fonction de l’opinion de celui qui le lit.

Ainsi prends tout son sens l’affirmation qu’une loge initiatique n’a pas à se prononcer pour ou contre la croyance religieuse. Il s’agit d’un monde différent et rien n’est pire que la confusion, le mélange, le syncrétisme40. […] Les croyants, dont l’attitude est tout à fait respectable, ont les Églises pour les satisfaire. Les maçons sont des créateurs au sens de Zarathoustra: « Des compagnons, voilà ce que cherche le créateur et non des cadavres, des troupeaux ou des croyants. Des créateurs comme lui, voilà ce que cherche le créateur, de ceux qui inscrivent des valeurs nouvelles sur des tables nouvelles.»41

En d’autre terme, tout se que nous dit la maçonnerie c’est que la lumière doit être désirée, que si l’on cherche, on trouvera et qu’un ordre domine le chaos. Voilà tout, c’est certes bien peu en comparaison d’une religion exotérique qui proposerait prêt à l’emploi une parole révélée, totalitaire, aliénante ou dogmatique, mais c’est déjà beaucoup car cela signifie d’une part que l’expérience vaut la peine d’être tentée et d’autre part qu’il en est de notre responsabilité d’homme libre que de partir à la conquête du sens, même s’il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre42.

Le Grand Architecte est un symbole comme un autre

La particularité du symbole est qu’il est un médiateur et qu’à ce titre, il peut prendre un sens différent pour chaque franc-maçon. Pour cette raison le Second Surveillant s’abstient de donner des définitions étriquées d’un symbole lors du travail en chambres d’instruction des apprentis. Il cultive la liberté d’interprétation des apprentis de sa colonne.

Pour cette raison, aussi, l’apprenti ne sait ni lire ni écrire : le symbole n’est pas un caractère d’un alphabet mystérieux qu’on pourrait expliquer avec une description toute faite, et par voie de conséquence qu’on pourrait enfermer facilement dans l’espace restreint d’une page ou d’un parchemin.

Au contraire, le symbole ouvre des nouvelles perspectives, il est fondamentalement polysémique et multi dimension. Et ces perspectives ces sens et ces dimensions sont potentiellement différents pour chaque Franc-maçon.

Voilà pourquoi, quoique utiles pour l’inspiration, les dictionnaires symboliques et maçonniques sont des aberrations littéraires (et souvent, aussi, des manifestations de l’Égo). Accoler à un symbole une ou plusieurs définitions figées dans le marbre est à la fois un non sens et contraire à la démarche Maçonnique : ainsi, des affirmations qui prétendent figer un sens et une définition pour un symbole, comme par exemple ‘la corde à nœuds est le symbole de la fraternité’ ou encore ‘le Grand Architecte de l’Univers est Dieu’ sont vaines, restrictives et contraire à démarche. La seule chose dont on puisse être certain, c’est que la corde à nœuds est une corde avec des nœuds, et que le Grand Architecte de l’Univers est un symbole apparemment immatériel. Comment le F:. ou la S:. interprétera la corde à nœuds ou le GADLU lui appartient.

La voie maçonnique est avant tout initiatique c’est à dire axée sur la transformation de soi et la connaissance de soi jusqu’à ce que s’y révèle la Loi morale43. Quoi qu’on dise, quoi qu’on écrive, le chercheur aura toujours à mettre à l’épreuve ses propres croyances, à rompre ses chaînes, avant de trouver le chemin qui l’attend à la sortie de sa caverne. Chaque Maçon est en réalité le produit de sa propre expérience. La connaissance ne peut être qu’expérimentale et individuelle, forcément incommunicable. Le langage, l’intellect, la parole ne peuvent rendre compte de la Connaissance44.Tout au plus peuvent ils rendre compte d’une expérience personnelle.

Pour cette simple raison, quoi que nous écrivions, il ne saurait être question d’un cours de Maçonnerie ou d’un dogme clef en main. Au mieux, il pourrait s’agir d’un témoignage, une proposition parmi d’autres de grille de lecture en forme de pratique de perfectionnement appuyée sur les rituels et les symboles. Une boussole dans un espace dont les points cardinaux sont différents pour chacun.

La meilleure instruction ne peut ni donner la Connaissance, ni influencer la Connaissance, mais il est possible de provoquer chez l’homme bien disposé les réactions favorables à son éveil, et nous pensons que c’est là précisément la fonction principale d’un ordre initiatique45.

J’ai dit

Références

1https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89gr%C3%A9gore

2Henri Plée, Chroniques martiales, Pour comprendre le délicat problème des grades.

3https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89ros_(philosophie)

4Lire notamment https://www.ledifice.net/3018-A.html

5https://www.cnrtl.fr/definition/logos

6Les réunions bi-mensuelles des ateliers maconniques

7 Pour le moins, au Rite Français et au REAA

8 Cahier de la Renaissance du Rite Francais traditionnel, Numéro 1, Éditions Télètes, 2002 page 161.

9 Les divulgations sont des ouvrages publiés depuis le XVIIi ème siècle et révélant tout ou partie du contenu des rituels maçonniques supposés demeurer secrets. Deux divulgations célèbres sont Massonry Dissected de Prichard, et Three Distinct Knocks.

10 Mentionné dans Franc Maçonnerie ou Initiation, ouvrage collectif, page 45

11Il est intéressant d’observer que la recherche de discrédit est l’un des ressorts des divulgations – il est vrai que montrer les rituels hors contextes pour la ridiculiser est une des méthodes employée pour nuire à l’idée même de Franc-maçonnerie: la plus ancienne description en langue française d’une initiation maçonnique « La Réception d’un Frey-Maçon » est publiée en 1737 à Paris par le Lieutenant Général de Police René Hérault. Un texte célèbre « Le Secret des Francs-Maçons trahi » est publié en 1744 par l’Abbé Gabriel-Louis Pérau, peu avant d’avoir été reçu Maçon.Il ne fait aucun doute que pour ces deux cas, le but recherché est semer la confusion dans l’esprit du public.

12Qui se procurent des rituels imprimés de qualité à meilleurs prix que ceux fournis par l’obédience !

13Jules Merias, les trois secrets des Francs Maçons, Dervy 2016, page 122

14Roi 7:21

15(Jean 1 ; 15)

16(I Rois 6-8 & II Chroniques 3-5)

17(I Rois, 7:13)(II Ch. 2,14)

18Genèse (4:22)

19(Genèse 41:76, Job 24:24, Zacharie 4:12, Psaumes 69:27, Livre des Juges 12:4-6) et Jean 1;15)

20Compas, Cordeau et tracé dans Ésaïe 44:13

21Luc 12, 35-38, 40

22Version du GODF, 6012, page 104 Instruction de l’Apprenti.

23 https://www.persee.fr/doc/rea_0035-2004_1936_num_38_2_2876

24Les deux Saint Jean : http://hautsgrades.over-blog.com/article-les-deux-saint-jean-63451329.html / Lire aussi par exemple La procession de la Lunade et les feux de la Saint-Jean à Tulle. La fête du solstice d’été et le commencement de la période diurne chez les Gaulois https://www.persee.fr/doc/crai_0065-0536_1888_num_32_3_69469

25Jean est l’une des figures multiformes les plus complexes du nouveau testament. Auteur mythique de L’évangile selon Jean https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89vangile_selon_Jean , mais aussi Jean l’Apôtre, Jean le Baptiste et Jean l’évangéliste

26Janus est le dieu romain des commencements et des fins, des choix, du passage et des portes1. Il est bifrons (« à deux visages ») et représenté (voir illustration) avec une face tournée vers le passé, l’autre sur l’avenir. Il est fêté le 1er janvier. Son mois, Januarius (« janvier »), marque le commencement de la fin de l’année dans le calendrier romain. https://fr.wikipedia.org/wiki/Janus_(mythologie)

27La Mythologie Judéo Christique, Jacques Trescases, page 21 et toute la question du Judaîsme hellénistique

28https://fr.wikipedia.org/wiki/Logion – L’évangile selon Thomas est un évangile qui ne comporte que des paroles attribuées à Jésus. Il a probablement été écrit en grec et contient des logia peut-être antérieures à l’écriture des plus anciens évangiles canoniques. Il a par la suite été déclaré apocryphe par la Grande Église au point de totalement disparaître. Découvert en décembre 1945 à Nag Hammadi, en Haute-Égypte, associé dans le même codex à d’autres textes également rédigés en copte, le manuscrit date du ive siècle mais a probablement été rédigé sur base d’un original grec dont on a retrouvé des traces dans des papyrus d’Oxyrhynque datés du iiie siècle. https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89vangile_selon_Thomas

29Jean 12-20 à 12-24

30La mythologie Judéo-Christique, Jacques Trescases, Editions Cepaduès, p 23

31L’interrogation socratique amène l’interlocuteur à retrouver la vérité par ses propres forces, sans qu’elle lui soit enseignée ou transmise. Voir Maîeutique, Philosophie de A à Z Hatier

32On peut se référer notamment La Bible. Ecrits intertestamentaires. Edition d’André Dupont-Sommer et Marc Philonenko. Bibliothèque de la Pléiade’. Broché – 1 janvier 1987 ou encore La Bibliothèque de Qumrân

33Évangile selon Thomas trouvé en 1945 dans le lot de papyrus de Nag Hammadi

34https://www.ledifice.net/K026-3.html

35Lire par exemple ART RUPESTRE EN EUROPE OCCIDENTALE : CONTEXTE ARCHEOLOGIQUE ET CHRONOLOGIQUE DES GRAVURES PROTOHISTORIQUES DE LA REGION DU MONT BEGO. De la typologie des armes piquetées à l’étude des gravures schématiques-linéaires. Nicoletta Bianchi, https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00915928/file/these_bianchi_2013_vol_1.pdf – pages 301, 329

36https://www.franceinter.fr/emissions/les-routes-de-la-musique/les-routes-de-la-musique-04-fevrier-2017 / Sur la diffusion du culte Isiaque en Gaule, lire La diffusion des cultes Isiaques en Gaule par Jean Leclant, ou La présence Isiaque sur le territoire des Gaules par Laurent Bricault, ou encore Histoire de la diffusion des cultes Égyptiens par Jean Leclant (1969) https://www.persee.fr/doc/ephe_0000-0002_1969_num_82_78_16594

37Jean 3, 4-7

38La Bible, Écrits intertestamentaires,Parution le 22 Avril 1987,Bibliothèque de la Pléiade, n° 337

39Voir en particulier tout ce qui se rapporte à la Légende des Géants et à Noé dans les écrits inter-testamentaires

40Franc Maçonnerie ou Initiation, Édition du Rocher, page 84 (édition unique de 1985)

41Ainsi parlait Zarathoustra, Friedrich Nietzsche, 1883-1885

42https://www.ledifice.net/7260-7.html

43https://www.ledifice.net/7260-7.html

44https://www.ledifice.net/7260-7.html

45Miscellanées traditionnelles et Maçonniques, Jacques Berthelot, page 62, édition originale.