L’initiation Maçonnique est une Voie initiatique traditionnelle qui fait appel à un rituel, une règle, et un ensemble de symboles.

Les trois piliers de la Sagesse, la Force, et la Beauté

Sagesse Force Beauté

Les piliers de la Beauté, de la Force, et de la Sagesse et leur nature font parfois l’objet d’explications contraires. Tel auteur les confonds partiellement avec les deux colonnes de l’occident. Tel autre explique qu’ils sont complétés d’un quatrième pilier imaginaire. Pourtant, la lecture de l’ensemble des divulgations et rituels, diffusés et rendus accessibles depuis 300 ans nous dresse un portrait bien plus subtil. Analyse, d’où il ressort que les trois piliers physiques du centre de la Loge sont une invention relativement récente, et pas uniquement liée au REEA.

Ou la quête du sens des piliers de la Beauté, de la Force, et de la Sagesse nous emmène sur le chemin de l’éveil.

Qu’est ce qui soutient votre Loge demande l’instruction du premier grade: trois grand piliers qu’on nomme sagesse, force et beauté, doit répondre l’App :.1. Ces trois grands piliers – centraux dans la démarche initiatique -, l’Apprenti d’une loge au REAA les découvre le jour même de son initiation, et n’en percevra la fonction architecturale qu’au terme d’un long chemin, qui l’aura fait progresser sur la voie de l’Éveil.

Mais qu’entend-t-on par l’Éveil ? La notion d’Éveil désigne un état de conscience supérieur obtenu par une pratique physique ou philosophique. Cette notion évoque traditionnellement une libération totale de l’influence de l’ego, un état de conscience qui ne pourrait, par nature, être défini par les mots. Un état censé ouvrir l’individu à la connaissance spirituelle, au ravissement de l’âme, à un sentiment de communion ou une perception holistique de l’existence2. Hors cas exceptionnels, l’Éveil est un état dont on s’approche en s’engageant sur une Voie. L’initiation maçonnique est l’une de ces Voies, tout comme le bouddhisme, le soufisme, l’alchimie, les arts martiaux orientaux et bien d’autres pratiques.

Pourtant, et quelque soit la Voie, l’observateur attentif identifiera systématiquement dans les méthodes d’Éveil trois grandes catégories de pratiques, qu’en Maçonnerie, on illustre par le triptyque Sagesse, Force et Beauté:

Beauté

La première pratique, c’est le travail constant et assidu qui conduit à la perfection, et débouche sur la beauté. C’est en pratiquant inlassablement le mouvement d’équarrissage que le tailleur de pierre acquière la technique juste, qui s’invite d’ailleurs dans le langage commun par l’expression la beauté du geste. Répétition inlassable et silencieuse qui dans les arts martiaux chinois et japonais3 mène à la séquence parfaite et à l’extinction de l’égo. Persévérance de l’alchimiste en action devant son fourneau. Sens profond du rôle de l’assiduité et de la constance, ainsi expliqué par le 11ème Kyokun du Karaté-budo : l’eau chaude se refroidit si on éteint le feu sous le chaudron4.

Force

La seconde pratique, c’est le connaît toi toi même socratique, la mise à l’ordre de son moi et le travail sur la maîtrise des désirs, qui dans le soufisme conduit à l’accumulation de force. Force qui peut être désignée sous d’autres noms dans d’autres traditions;  tel le Ch’i qu’on retrouve dans les arts martiaux chinois et qui répond à une technique d’accumulation sur laquelle nous éclaire le cryptique 16 ème Kyokun : dès que nous franchissons le seuil de notre maison, un million d’ennemis nous guettent5.

Il est amusant de constater que d’un point de vue scientifique, le Ch’i est considéré comme un concept hypothétique et invérifiable6, et que pourtant toute la population humaine – y compris celle des scientifiques – expérimente un jour ou l’autre par un état de grande fatigue, conséquence du stress, d’une frustration, d’un état dépressif ou d’une réaction colérique non maîtrisée (maîtrisée par le Maître : encore une espièglerie du langage commun).

Sagesse

Le troisième pratique est celle de la compréhension vraie qui nous conduit à la sagesse en passant par la méditation, la contemplation et la recherche de connaissance ; contre toute attente, cette quête sollicite peu l’intellect mais beaucoup la réflexion, l’ouverture d’esprit et la tolérance. Toujours chercher à inventer indique le dernier Kyokun7, créer, chercher, imaginer, nous dit l’Alchimiste dans la langue des oiseaux.

Toutes les initiations du monde proposent donc de transformer l’Humain, de le rendre meilleur en luttant contre son moi, à l’aide de divers moyens qui offrent en récompense la Beauté obtenue par la constance et la répétition qui conduise à la dissolution de l’égo, la Force accumulée par le travail sur soi et la mise au pas des désirs, et la Sagesse acquise par la recherche créative et l’audace8.

En temps normal, la seule pratique rigoureuse et sincère d’un rituel initiatique pur – c’est à dire proche de la substance que les Maîtres Éveillés du passé y ont mis – peut suffire à provoquer l’Éveil. Si la nature du rite n’est pas altérée, il n’est nullement besoin du verbe pour dévoiler ce qui y est caché et suivre la voie qu’il contient : il suffit de pratiquer avec constance et rigueur. Mais il advient parfois que le rituel soit affaibli et que son action naturelle s’en trouve amoindrie. S’engager sur la bonne voie devient alors plus difficile: il faut redoubler d’ardeur, et se faire chercheur, pour retrouver la substance de ce qui a été perdu.

L’histoire des trois lumières

Le ternaire de la Sagesse, de la Force et de la Beauté est l’un de ces éléments du rituel affaibli. C’est pourtant un élément clé de la Voie Maçonnique, mais que le passage du temps a mis en grand désordre. Parfois petites lumières, parfois grandes, remplacées par des flambeaux, confondues avec des colonnes, ce ternaire a vécu bien des péripéties avant de parvenir jusqu’à nous !

Les premières divulgations publiques du « secret des francs-maçons » suivirent de peu la création de la Grande Loge de Londres et surtout la publication de ses Constitutions en 1723 : des révélations commencent alors à paraître dans les journaux londoniens. Dès 1730, un document exceptionnel pour les historiens et les chercheurs maçonniques parait: Masonry Dissected9 (La Maçonnerie Disséquée), dont un certain Samuel Prichard est l’auteur. Auteur dont on ne sait à peu près rien, mais qui révèle une bonne partie des symboles, rites et secrets des trois premiers grades.

Massonery Dissected ouvre pour nous une fenêtre sur les rituels pratiqués à cette époque en Angleterre. Point important, il mentionne l’existence des trois piliers de la Sagesse, la Force et la Beauté dans son instruction d’apprenti entré, sans pour autant donner de précision sur leur forme10:

Q. – What support a Lodge

R. – Three greet pillars

Q. – What are they called

R – Wisdom, Strenght and Beauty

Q – Why so ?

R – Wisdom to contrive, Strenght to support, and Beauty to to adorni

Citation de la Sagesse la Force et la beauté dans Massonery Dissected de Prichard qui atteste que ces trois piliers sont présents dès l’apparition de la Maçonnerie du courant Moderne.

Par ailleurs, le manuscrit nous indique que ces piliers n’occupent pas encore la place que nous leur connaissons au REAA. A cette époque, Ce sont trois flambeaux qui occupent le centre de la loge, et ils représente le Soleil, la Lune et le V :.M :.11. Massonery Dissected ne nous dit rien, pour l’instant, de ce à quoi correspondent, physiquement, dans l’atelier, les trois piliers Sagesse, Force et Beauté.

Quelques années plus tard, une autre divulgation anglaise (J :. & B :. publiée en 176212 et d’inspiration Ancienne), présente dans son introduction une gravure de scène de préparation avec trois flambeaux alignés en triangle, au centre de la loge. Mais, ici encore, l’instruction de l’apprenti ne laisse pas de doute sur le symbolisme de ces flambeaux. On a toujours pas affaire à Sagesse Force et Beauté, mais bel et bien au soleil, à la lune et au Maître de la Loge :

What were the next thing that where shown to you

– Three candles, which I told were thre lesser lights in massonery

– What do they represent

– The sun, moon, and master macon

Divulgation J:. et B:. 1762

Les trois flambeaux du centre de la loge ne symbolisent donc pas dans les Loges Anciennes, ancêtres du REAA, les lumières de la Sagesse la Force et de la Beauté, mais ces dernières ne sont par pour autant oubliées : c’est un peu plus loin dans le manuscrit, dans une section intitulée La forme d’une loge (The form of a lodge)13, et qui contient de nombreux éléments de l’instruction du grade de Compagnon que nous retrouvons la Sagesse, la Force et la Beauté avec – cette fois – quelques précisions:

– What support your lodge

– Three great pillars

– What are their names

– Wisdom, Strenght and Beauty

– Who do the pillars of Whisdom represent ?

– The Master in the east

– Who do the pillar of beauty represent

– The junior warden in the south

– […]

– Why would the Senior Warden represent the pillar of strenght ii

Manuscrit The Form of a Lodge

Cette nouvelle divulgation, nous donne une vue beaucoup plus précise et détaillée, à la fois des trois piliers, de leur rôle et de leur importance, mais surtout sur la nature de ce qui les représente physiquement dans l’atelier : dans les loges anglaises au milieu du XVIII ème, qu’elles soient d’inspiration Anciennes ou Modernes, les piliers de la Sagesse, de la Force et de la Beauté sont en réalité incarnés par les deux Surveillants et le Vénérable Maître !

Dans les premiers rituels traduits en français à la même époque, les trois grandes lumières sont les mêmes que dans les les rituels anglais. Ainsi un rituel Français du premier degré – divulgation d’un Vénérable de l’époque – intitulé Conversations Allégoriques , organisées par la sagesse et daté de 1763, mentionne les trois grandes lumières placées en équerre, qui évoquent14 Le Soleil, la Lune et le V :.M :.

Le rituel divulgué étant incomplet, on ne sait pas si les trois piliers de la Sagesse, la Force et la Beauté sont présents à un autre moment, par exemple au grade de Compagnon. Mais dans un autre rituel Français divulgué très peu de temps après, intitulé Corps complet de Maçonnerie adopté par la R.G.L de France, et daté de 1765, il nous est précisé que :

Le tableau de la loge sera tendu sur pavé, il sera éclairé par trois lumières, placés sur trois grands chandeliers, ou seront sculptés quelques attributs de l’ordre15

Et surtout, le manuel d’instruction de l’Apprenti de ce même rituel évoque plus loin de grandes colonnes, qui sont en réalité les pendants des piliers des divulgations des rituels anglais16:

D. Qui la soutient

R. Trois grandes colonnes

D. Comment les nommez vous

R. Sagesse, Force & Beauté

D. Pourquoi les nomme t-on ainsi

R. Sagesse pour gouverner, force pour soutenir, beauté pour orner.

Il ressort donc que dans la seconde moitié du XVIII ème siècle, dans les loges françaises et anglaises, cohabitent trois grandes lumières placées sur des chandeliers au centre de la loge – Soleil, Lune et Venérable Maître, et trois colonnes – Sagesse, Force et Beauté – que la formule Qui la soutient nous laisse supposer incarnées par le Vénérable et les deux Surveillants, comme dans les versions anglaises, mais sans qu’on puisse en être tout à fait certain à ce stade.

Vers la fin du XVIII ème siècle (en 1785), le Grand Orient de France entreprend de normaliser le rituel pratiqué par ses loges et de le diffuser par des moyens confidentiels sous une forme manuscrite. En 1801, une divulgation fidèle de ces rituels de 1785, est publiée sous le nom de Régulateur du Maçon17. Dans ce rituel qui est l’ancêtre de tous les Rites Français, l’évocation des trois piliers18apparaît dans l’instruction au grade de Compagnon, très proche dans sa formulation du J :.& B :. anglais diffusé en 1760 :

– Ou avez vous été reçu compagnon ?

– Dans une loge juste et parfaite

-(…)

– De quoi était elle couverte ?

– D’un dais d’azur parsemé d’étoiles

– Qui la soutenait ?

– Trois grands piliers de forme triangulaire

– Comment les nommez vous ?

– Sagesse, Force, Beauté

– Pourquoi les nommez vous ainsi ?

– Sagesse pour inventer, Force pour exécuter, et Beauté pour orner

Régulateur du Maçon, Instruction au grade de Compagnon

Ici encore, le pronom Qui utilisé dans l’instruction laisse assez peu de doute sur la nature très humaine des piliers qui soutiennent la loge (ce qui est d’ailleurs cohérent avec les Who des précédentes divulgations anglaises), et notons aussi la forme triangulaire choisie pour ces piliers virtuels, qui pourrait évoquer la triangulation reliant dans le rituel les deux Surv :. et le V:.M :.. Les cahiers des Architectes Préparateurs19 du Régulateur, aux trois grades, ne font mention ni de piliers ni de colonnes lors de la préparation de la loge, mais on peut envisager que les flambeaux qui représentent le soleil, la lune et le Vénérable Maître demeurent et sont placés en équerre aux coins de la loge ou du tableau de loge, comme on le voit dans des illustrations de l’époque (voir Annexe 1) ou encore en triangle, comme mentionné dans les divulgations anglaises du XVIII ème siècle: deux à l’orient, aux coins nord et sud, et un à l’occident, au coin sud.

Qu’en est-il au REAA ? Roger Dachez affirme qu’au début du XIX ème quand le jeune REAA créera les rituels de ses grades bleus, il reprendra l’innovation « écossaise » pour la position des chandeliers, mais en la plaquant cette fois sur le schéma inspiré des Anciens – mais encore légèrement modifié.20 Par ‘innovation écossaise’, l’auteur fait allusion aux restaurations des dits anciens, mises en places pour annuler les transformations prétendues du rite par les modernes21 et peut être aussi à la transformation du positionnement des chandeliers du triangle dont la base est à l’ouest vers un triangle dont l’une des pointes est au sud (face au second Surv :.).

En réalité, plusieurs documents nous donnent un éclairage légèrement différent : Le guide des maçons Écossais ou cahier des trois grades symboliques du Rit Ancien et accepté22 de 1804 ou 1805, émis par la Grande Loge Centrale, et qui semble reprendre des éléments connus à la fois dans la divulgation anglaise de 1760 intitulé Three Distinct Knocks (de tradition dite ancienne), mais aussi d’autres issus du Régulateur du GODF23(de tradition moderne), nous indique dans l’instruction d’Apprenti :24

D. Qui soutient votre loge ?
R. Trois grands piliers
D. Quels sont leurs noms ?
R. Sagesse, force et beauté.
D. Que représente le pilier de la Sagesse ?
R. Le maître à l’est
D. Que représente le pilier de la Force ?
R. Le premier surveillant à l’ouest
D. Que représente celui de la beauté ?
R. Le deuxième surveillant au sud.

On a donc bien au début du XIX ème siècle, tant dans le rituel de référence du GODF de la fin du XVIII ème (le Régulateur qui n’est pas encore le Rite Français), qu’au trois grades bleus du REAA naissant, les trois piliers Sagesse, Force et Beauté, incarnés par le Vénérable Maître et les deux Surveillants, et au centre de la loge, les trois flambeaux qui symbolisent la Lune, le Soleil, et le Maître de loge, qui entourent le tapis de loge. Ce n’est que postérieurement, durant le XIX et le XXème siècle que cet agencement se perdra, et que les rituels subiront en France – par vagues – les profondes altérations que nous leur connaissons aujourd’hui.

Que reste-t-il aujourd’hui de ces éléments? Dans le Rite Français contemporain, qui est le descendant direct du rituel du Régulateur, pas grand-chose. Le cahier des rituels des trois grades au rite Français tel que diffusé aujourd’hui par le GODF25 nous propose d’ailleurs quelques explications sur ce sujet dans son préambule:

Les premières Loges s’établissent peut-être après 1688, souvent sous l’impulsion des partisans des Stuarts réfugiés à Saint-Germain-en-Laye, donc avec empreintes écossaises et irlandaises supposées. Mais les représentants de la Grande Loge de Londres, créée en 1717, prennent vite le relais et imposent leurs règles, notamment pour ce qui concerne les piliers. Et le rédacteur du cahier de préciser la signification donnée, selon lui, à l’époque, à ces piliers:

On met en place un tableau sur le sol ou sur une table, qui est la Loge, autour duquel les Francs-Maçons, debout, se rangent de part et d’autre, puis s’asseyent ou s’attablent. (…26). La colonne à gauche en entrant est dite J et la colonne à droite est dite B. Après une période d’incertitude, la première symbolise la Force et la seconde la Beauté. Une troisième colonne, imaginaire, située à l’Orient, symbolise la Sagesse.

Colonne imaginaire, colonne réelle, confusion entre les colonnes J:. et B:.. et les piliers Force et Beauté; l’auteur du préambule du cahier actuel du Rite Français du GODF est vaguement conscient qu’il manque quelque chose. Imaginant que cette question pourrait être d’ordre sémantique, il ajoute27(mais sans préciser la source ou l’origine de son commentaire, grande tradition chez les maçonologistes) :

Une confusion de sens sur le mot anglais « pilar » va mener certaines Loges à rajouter au milieu de la Loge trois piliers Sagesse-Force-Beauté et à négliger la fonction originelle des colonnes d’entrée.

Cette idée – non fondée sur des faits – qu’une confusion linguistique pourrait être à l’origine de la transformation de piliers symboliques en colonnes physiques, semble donc avoir émergée dans la seconde moitié du XX ème siècle.

On en retrouve la trace, avec ses sources cette fois, dans la Symbolique Maçonnique28 de Jules Boucher qui nous explique – encore plus confusément – qu’il ne faut pas confondre ces trois piliers (du Rite Écossais) avec les deux colonnes situées à l’entrée du temple (ce qui reviendrait à faire entrer deux colonnes dans trois piliers ce qui est effectivement fâcheux), tout en indiquant quelques lignes plus loin que les commentaires (de Ragon29) et ceux de maints auteurs maçonniques (NDLA:non cités) montrent dans leur esprit que les trois Piliers étaient identiques à celui des deux colonnes auxquelles ils appliquent aussi les épithètes de sagesse et de force (ce qui, cette fois, fait entrer trois piliers dans deux colonnes tout en passant à la trappe le beauté …). Tout ce ceci est bien confus et ne colle pas vraiment à la réalité historique, qu’il est possible d’extraire factuellement des nombreuses sources que sont les anciens rituels et les divulgations comme nous venons de le faire et de le documenter.

C’est probablement en 1927, époque à laquelle aucun diacres ne circule plus dans les loges qui travaillent au REAA, et ou entre en fonction l’allumage de trois bougies qui symbolisent la Sagesse, la Force et la Beauté30 que le REAA commence sa transformation des trois flambeaux du centre de la loge en piliers.

Les dépositaires contemporains du Rite Français, pour leur part, bien qu’ils indiquent dans leur préambule avoir connaissance de l’histoire et de l’existence des trois piliers, ne semblent pas s’émouvoir outre mesure de leur complète disparition dans le rituel ou les instructions, aux trois grades (avec le tableau de loge et les flambeaux de surcroît). Dans le cahier de rituel édité en 6018 par le GODF, il ne subsiste aucune autre trace, tant des flambeaux que des piliers. Tout au plus ne mentionne-t-on la Force, la Beauté et la Sagesse que dans le rite de Tenue Funèbre (en intervertissant leurs surveillants respectifs):

LE VÉNÉRABLE MAÎTRE

Que représente cette lumière, Frères /Sœurs Surveillants ?

LE SECOND SURVEILLANT

La force, l’ardeur des convictions que nos Frères /et nos Sœurs ont acquises près de la colonne du Nord.

LE PREMIER SURVEILLANT

La beauté, la fermeté de leur caractère qu’ils ont façonnées près de la colonne du Midi.

LE VÉNÉRABLE MAÎTRE

La triple étincelle qui s’échappe de la terre qui les enveloppe, symbolise, avec la force et la beauté, la sagesse qu’ils se sont efforcés d’approcher. Frère /Sœur Maître des Cérémonies, jetez dans la cassolette ce parfum.

Cahier de Rituel du GODF, 6018, Rite de Tenue Funèbre

On pourrait en conclure que cette version du Rite Français a définitivement fait le deuil des trois piliers et n’instruit plus aujourd’hui de la Sagesse, la Force et la Beauté … qu’une fois le F:. ou la S:. morts. Ce qui ne manque pas de sel. Notons que des versions restaurées du Rite Français, le Rite français traditionnel (ou Rite français moderne rétabli) tentent de restituer la forme originale du rite, et réincarnent les trois piliers dans les Vénérables Maîtres et les Surveillants31. Ces versions sont par exemple utilisées aujourd’hui à la Loge Nationale Française.

Dans la plupart des rituels du REEA contemporain, au grade d’apprenti, l’évocation de la relation existante entre les trois pilier de la Sagesse, la Force et la Beauté, et le triangle constitué par les deux Surveillants et le Vénérable Maître est maintenue par trois interventions dans le rituel d’ouverture, lors de l’allumage par l’Expert de la lumière qui surmonte chaque pilier du centre de la loge. Au moins, au REAA, les lumières ont vues leur sens glisser sans disparaître: les flambeaux de la Lune, du Soleil et du Maître de Loge jadis au centre de la loge ont disparus, remplacés par trois piliers physiques, formellement définis comme supportant les lumières de la Sagesse, la Force et la Beauté. Même si les transformations sont importantes par rapport aux premiers rituels, la référence demeure.

Quel est l’intérêt de ce travail d’investigation ?

En premier lieu, de faire toucher du doigt que tous les rituels contemporains, tels que proposés par les chapitres et les obédiences qui en sont dépositaires sont – d’une manière ou d’une autre – affaiblis voire fortement mutilés. Et il n’y a rien de surprenant à cela, pour une tradition initiatique séculaire et au succès que l’on sait : toute organisation à forte croissance finit par laisser à intervalle régulier entre de mauvaises mains, des modification structurelles porteuses d’insuccès. Quand aux explications hasardeuses que l’on a parfois rencontrées, on peut aussi admettre qu’il est bien plus facile aujourd’hui pour le grand nombre d’accéder aux documents historiques utiles à la compréhension, qu’il ne l’était seulement quinze ans en arrière. Faites l’essai: demandez à votre bibliothèque locale de vous fournir une version numérisée des divulgations maçonniques anglaises de Prichard au XVIII eme siècle et vous m’en direz des nouvelles.

On peut en retenir ce qui suit.

Il est évident que le F :. ou la S :. cherchant sa Voie au milieu de la forêt des symboles ne peut s’en remettre aveuglément à des analyses toutes prêtes et mal documentées, pour trouver son chemin. Que les ouvrages dits de référence ne sont pas toujours de bonnes références. Qu’en matière de rituel, d’initiation et de tout se qui se passe en loge, il est essentiel de questionner, remettre en cause, vérifier. Jusqu’aux rituels clef en main fournis par l’obédience, jusqu’aux opinions des hauts gradés et des dignitaires, jusqu’au ouvrages de ‘référence’ des ‘célébrités Maçonniques’. Fraternellement, évidemment. L’espace Maçonnique ne pose aucune limite à l’esprit et à la recherche de la vérité. Il faut exploiter cet espace pour se révéler. Celui ou celle qui s’offusquera d’une remise en question de ses certitudes est rarement très avancé sur le chemin de l’initiation : car faire preuve d’esprit critique et vérifier par soi même n’est pas une offense, c’est un devoir, qui s’applique à soi en premier.

Le programme Sagesse, Force et Beauté est au cœur de l’initiation Maçonnique

A l’issue de ce voyage dans le passé, et malgré toutes les transformations successives que nous avons identifiées, on comprend mieux pourquoi la Beauté, la Force et la Sagesse constituent un programme essentiel. Qu’à chacun de ces trois piliers correspond par exemple une grande passion ou un vice : l’égoïsme à la Beauté, la paresse à la Force, l’ignorance (ou l’excès d’intellectualisation) faisant obstacle à la Sagesse. Et ce n’est pas un hasard si, à l’origine, ces piliers qui supportent la loge – ce qui n’est pas rien – étaient non pas des objets physiques surmontés d’une lumière, mais symbolisées par les trois Maîtres, bien réels, chargés – à des degrés divers – de montrer la direction32 :

– Le second Surveillant qui a pour tâche importante de montrer aux Apprentis sur le chantier, la manifestation de la Beauté : la fin de l’égo et le début de la fraternité vraie, qui s’exprime au début par la répétition du geste, par l’assiduité et par la fin de l’indifférence, qui conduit à la libre amitié.

– Le premier Surveillant qui travaille avec les Compagnons aidé des quelques arts et outils particuliers mis à leur disposition pour commencer un travail approfondi sur les désirs, et apprendre à accumuler de la Force. La prise de parole à l’ordre est l’un de ces outils. La géométrie en est un autre. Que d’ailleurs les Apprentis peuvent observer, et – paradoxe – dont ils commencent à s’instruire alors même qu’ils sont astreints au silence.

– Les Maîtres, pour ce qui les concerne, ont reçus des instructions qui les invitent, comme je viens de le faire, l’esprit ouvert, à chercher la Sagesse avec le Vénérable Maître. Par exemple en retrouvant dans des vieux manuscrits éparpillés des fragments qui une fois remis en forme, avec l’aide de la raison et en totale liberté, peuvent aider à progresser sur le chemin de l’initiation et contribuer à l’Éveil d’autres F :. et S :..

Toute tradition qui prétend transformer l’Humain repose sur plusieurs programmes initiatiques qui contiennent des techniques. Beauté, Force, Sagesse est l’un de ces programmes contenu et décrit dans un rituel multiforme qui se lit sur trois siècles (au moins). Ce programme n’est probablement pas le seul, mais c’est un autre sujet.

J’ai dit V :. M :.

Grégoire Arroyal

Références

1 Repris ici tel que formulé dans le Rituel REAA au grade d’Apprenti de la GLDF, page 71.

2 https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89veil_spirituel

3 Il est établit que plusieurs fédérations françaises d’arts martiaux, en particulier celle du Karaté furent structurées, organisées et présidées par des F :. Voir pour un témoignage la chronique d’Henri Plée (pionnier du Judo et du Karaté en France et ancien président d’honneur de la FFKAMA : A propos des fédérations sportives d’arts martiaux, publiée dans Budo et reprise dans Chroniques Martiales, Budo Éditions (page 75 dans l’édition de 2002)

4 Chroniques Martiales, Henri Plé, page 487 dans l’édition de 2002

5 ibid page 488 dans l’édition de 2002

6 M. S. Lee, M. H. Pittler et E. Ernst, « Effects of reiki in clinical practice: a systematic review of randomised clinical trials », International Journal of Clinical Practice, vol. 62, no 6,‎ 1er juin 2008, p. 947–54 (ISSN 1742-1241, PMID 18410352, DOI 10.1111/j.1742-1241.2008.01729.x)

7 Chroniques Martiales, Henri Plé, page 469

8 On pourra lire sur ce sujet Les trois secrets des Francs Maçons de Jules Mérias, et par exemple le chapitre intitulé: De la recherche en Franc Maçonnerie.

9 https://fr.wikisource.org/wiki/La_Ma%C3%A7onnerie_Diss%C3%A9qu%C3%A9e en français, et manuscrit original http://www.tbm100.org/Lib/Pri30.pdf

10 Page 9 du manuscrit

11 Page 10 du manuscrit, instruction de l’apprenti : Q what do they represent  Sun Moon and Master Macon

12Jakin & Boaz manuscrit numérisé http://www.tbm100.org/Lib/Ano97.pdf

13 Le régulateur du Macon, 1785 / 1801 Page 17 et 18

14 ibid Page 237

15 ibid page 243

16 ibid Page 29 du manuscrit – 246 du régulateur

17 Le régulateur du Macon, 1785 / 1801

18 ibid Page 183

19 Publiés dans le Régulateur du Macon, 1785, 1801, Pierre Mollier, préface de Alain Boer, page 224

20http://pierresvivantes.hautetfort.com/archive/2013/05/02/comment-une-loges-est-elle-disposee.html Blog de l’auteur

21 Lire sur ce sujet Les deux grandes colonnes de la franc-maçonnerie, René Désagulier, Dervy, édition de 2012 ; l’auteur y décrit pourquoi, selon lui, suite aux divulgations – au milieu du XVIII ème – pour faire échec aux conséquences des divulgations et détecter plus aisément les imposteurs, un certain nombre de changements furent introduits: inversion des colonnes J:. et B:. et changement des mots secrets, modification de la position des surveillants, conservation de l’équerre formée par les trois flambeaux mais inversion de son orientation sur un axe est ouest autour du tableau de loge.

22 Original utilisé comme support publié dans La voie du Franc Macon de Jules Mérias, en Annexe IV

23 Lire notamment les travaux de xxx sur ce point

24 Extrait publié dans La voie du Franc Macon de Jules Mérias, en Annexe IV page 147, édition 2000, Dervy

25 CAHIER DES RITUELS DES TROIS GRADES AU RITE FRANÇAIS, 6018, GODF

26 Mention retirée ici d’un élément de symbole du grade de Comp :.

27Jules Boucher, La Symbolique Maçonnique, Édition Dervy de 1998, Page 8

28 Jules Boucher, La Symbolique Maçonnique, Édition Dervy de 1998, Page 98

29 Cours Philosophique, 5842 page 131

30 Selon le rituel remis par la Grande Loge de France à la RL Technica à l’Orient de Paris, 21 Avril 1927, p 6 bis, Bibliothèque de la Grande Loge De france, cité par Jules Merias dans La voie du franc-maçon, Dervy, ed 2000 page 91

31Voir quelques versions en ligne dont je n’ai pu vérifier la qualité mais qui semblent consistants entre eux : http://danielengel.free.fr/html/rft.htm https://www.stichtingargus.nl/vrijmetselarij/s/ritefrancaisretabli_r1.html

32 Point intéressant, que dans la langue française, le mot diriger peut prendre le sens de donner des ordres (diriger le groupe) ou bien de montrer le chemin (comme diriger un navire). Combien de méprises sur le sens de Trois la dirige …

Annexe 1

Assemblée des Francs Macons pour la réception au grade d’apprenti.

Planche de la série dite du frère Gabanon, 1745. Voir http://expositions.bnf.fr/franc-maconnerie/explo/initiation/index.htm

Les gravures de Gabanon, lui même initié, ne laissent aucun doute sur la forme et la nature de ce qui est au centre de la loge dans la Maçonnerie Française du 18 ème siècle: trois flambeaux ! Mais ces flambeaux ne sont plus positionnés en triangle sur un axe ouest est, mais aux coins du tapis de loge, selon un positionnement différent de celui du REAA contemporain.

Annexe 2

i Q. – Qu’est-ce qui soutient une Loge ?

R. – Trois grandes colonnes.

Q. – Comment s’appellent-elles ?

R. – Sagesse, Force et Beauté.

Q. – Pourquoi cela ?

R. – La Sagesse pour inventer, la Force pour soutenir et la Beauté pour orner.

ii– What support your lodge

– Three great pillars

– What are their names

– Wisdom, Strenght and Beauty

– Who do the pillars of Whisdom represent ?

– The Master in the east

– Who do the pillar of beauty represent

– The junior warden in the south

– Why would the Master represent the pillar of whisdom ?

– Because he give instruction to the crafts to carry o their work in a proper manner with good harmony

– Why would the Senior Warden represent the pillar of strenght

– As the sun set to finish the day, of the wenior warden hands in the west to paye the hirelings their wages wich is the strenght and support of all busines

– Why should the Junior Warden represent the Pillar of Beauty

– Because he stands in the South at high twelve at noon which is the beauty of the day to call the men off from work to refreshment and to see that they come on again in due time that the Master may have pleasure and profit therein

– Why is it said that your Lodge is supported by these three great Pillars Wisdom Strength and Beauty

– Because Wisdom Strength and Beauty is the finisher of all works and nothing can be carried on without them

– Why so Brother

– Because there is Wisdom to contrive Strength to support and Beauty to adorn